“J’écris qu’des bails qui rendent malade et j’en fais des chansons
J’sais pas pourquoi à la fin ça fait les plus jolies ballades”
Aristote définissait la catharsis comme l’épuration des passions qui se produit par les moyens de la représentation artistique : en assistant à une tragédie ou en recourant aux « mélodies qui transportent l’âme hors d’elle-même ». Le spectateur se libère de ses émotions et éprouve « un allègement accompagné de plaisir ».
Artiste marseillaise plus que prometteuse, la musique d’Asinine est sans doute le meilleur exemple du phénomène qu’est la catharsis.
À l’aube de son retour et de la sortie de son EP « Brûler la maison », il est grand temps d’analyser la manière dont Asinine retranscrit sa tristesse et sa morosité dans sa musique, libérant par son art ses émotions (ou son indifférence) et celles de son auditoire.
Pourquoi l’indifférence fait si mal?
Peut-être que la meilleure manière de définir la musique d’Asinine est celle de Mister V dans une interview pour GQ : « De la mélancolie, et en même temps ca turn up, ça bouge ».
C’est ce contraste qui marque la musique d’Asinine. Alors qu’elle pose sur les prods aux basses explosives de son binôme Briac Severe, Asinine aborde des thèmes sombres, évoquant une vision du monde presque désolante.
Comme expliqué par Juliette Mansart dans un excellent podcast pour Personae, Asinine a un rapport particulier à la contemplation de la mort et à la fatalité, notamment sur son projet XIII. En témoigne le nom du track 2 « C’est pas la mort (mais ça y ressemble grave) » et la cover représentant un squelette sur un cheval blanc (broderie de Charlotte Arnaud).
Mais la véritable douleur d’Asinine ne provient pas de sa tristesse, mais du fait d’être désabusée. Elle semble adopter une posture morne face à son existence, restant maussade face aux événements de sa vie, elle a « le coeur dans le plâtre » . Elle en arrive même à apprécier les sentiments négatifs, qui lui rendent son humanité : « Et ce froid qui me traverse, en vrai j’l’aime bien, au moins j’ressens un truc » (BALLADES)
Elle-même semble rester perplexe face au phénomène cathartique que produit sa musique : “J’écris qu’des bails qui rendent malade et j’en fais des chansons / J’sais pas pourquoi à la fin ça fait les plus jolies ballades » (BALLADES)
Une maitrise parfaite de l’écriture
Malgré l’insensibilité qu’Asinine laisse transparaître elle n’en reste pas moins ambitieuse et sûre de ses forces, affirmant sa détermination à faire son trou dans la musique : « Je sais que j’ai confiance en l’avenir, sinon autant pourrir tout de suite / Sinon jf’umerais tout le shit, Autant se jeter dans le styx / Autant brûler le disque dur » (ON VOIT QUE MOI DANS LA CITY). Asinine sait qu’elle a un talent hors normes, notamment dans son écriture dont la qualité rivaliserait avec de grands lyricistes.
Elle sait allier la technique au propos sans le faire scolairement. Ses textes évoquent souvent des épisodes marquants de la vie d’Asinine, évoquant avec pudeur des bribes de sa vie familiale :
« Ça fait mal comme une claque de daronne qui dit “Celle-là ça fait longtemps qu’elle m’démangeait” » (LE CIEL QUI ME GRONDE feat. Kosei)
« J’dis à ma mère que j’l’aime, elle m’répond “Moi encore plus”/ J’lui dis qu’j’suis triste, elle m’répond “Moi encore pire” » (BALLADES)
« Spectacle fin d’année cherche les yeux d’papa j’les trouve jamais C’est comme ça, chacun fait d’son mieuxJ’ai les yeux d’papa, j’les ouvre jamais c’est comme ça chacun fait d’son mieux » (DEMI MOORE)
Le minimalisme à l’image
L’imagerie et l’univers visuel d’Asinine est minimaliste bien que très marqué. On reconnait un pattern commun dans ses visuels, notamment le défilement d’images de manière inlassable, des projections de silhouettes d’animaux lumineux (loup et chèvre bicéphale) et d’images énigmatiques.
Par exemple, dans “VIVEMENT QUOI” où l’artiste apparaît juste dans une salle de bain désaffectée sans esquisser un mot ou une expression, alors que ses lyrics et d’autres textes sont projetés aux murs.
Même chose dans “DEMI MOORE” où les même type d’image se répètent en boucle. Ce minimalisme à l’image couplé à l’artiste qui apparaît de manière charismatique tout en laissant parler la musique, est caractéristique du mode d’expression d’Asinine.
Une imagerie qui reflète du glauque, presque de l’horrorcore, qui sera sans doute prolongée dans le prochain EP dont les premiers visuels la mette en scène seule dans une vieille grange au milieu d’un champ, avec en fond sonore les paroles d’une chanson de Peggy Lee (Is That All There Is, 1969). Cette chanson raconte d’ailleurs les déceptions d’une jeune fille qui grandit, et qui reste blasée face aux choses qui sont censées la rendre heureuse ; le parallèle avec la personnalité lunatique d’Asinine est évident. Encore une fois l’ambiance mystérieuse plane et on a envie d’en découvrir davantage.
Rendez-vous le 29 avril à 18h pour « Brûler la maison ».
P.S. : ici les vinyles sont déjà commandés.
Gregoire Sellier (@sellierjr)